25.2.11

Week End
Jean Luc Godard


Jean Luc Godard sort en 1967 «un film égaré dans le cosmos, un film trouvé à la ferraille, un film qui se fout de tout». Construit autour du départ en week-end d’un couple de parisiens, leur parcours dans un embouteillage sans fin sur les routes nationales (un des plus long travelling de l’histoire du cinéma) entame ce qui est un périple vers une critique acerbe de la société française. Week-end est un film cru dans lequel les gens se lynchent pour une voiture mal garée, les voisins se battent à coup de raquettes de tennis et de fusil, se mordent, s’arrachent les cheveux; les maris sont consciemment trompés par une gente féminine violemment hautaine - parlant avec désinvolture de leurs désirs et aventures sexuelles; les enfants insultent les adultes - salauds merdeux communistes - leurs femmes, leurs bagnoles ; les agriculteurs chantent l’internationale sur leur tracteur avant d’écraser «deux petites ordures de la jeunesse dorée», et Dieu s’invite même dans un autostop-hold-up pour faire le jugement dernier de la classe aisée française, son égoïsme, son désir du confort et ses rêves limités.
«on ne peut dépasser l’horreur de la bourgeoisie que par encore plus d’horreurs»
Week-end est un pétage de plomb sur l’avènement de la société de loisirs et de vacances; un ras le bol las, long, lourd, c’est 1h40 d’engueulades infinies, de bruits permanents, de klaxons, de tirades maoïstes gerbées par des personnages impossibles issu d’une tribu anarchiste qui kidnappe les automobilistes partis en pique-nique; pour finir par les manger -après multiples sévices - au barbecue.
Ces jeunes libertaires sont les amis de Godard, une sorte d’avant-garde intellectuelle étudiante qu’il fréquentait assis dans un coin avec son costume gris et ses lunettes noires -alors qu’eux arborait des tenus arabo-flamboyantes. Il les fait jouer ici avant qu’ils ne prennent leur propre rôle dans les évènements de 1968. Week-end est une fresque flamboyante de la fin d’un état de la civilisation, le dernier repas d’une société qui va être bouleversé quelques mois plus tard. Mais pour quoi au fait? Quelqu’un s’en souvient-il encore?

22.2.11


Delirious Tel-Aviv
Victor Enrich


"The Opera Tower, a magnificent example built 20 years ago, at the confluence of the Tayelet and Allenby Street. An enclave, today, slightly degraded by the existence of very low class hotels and business of little interest. The building is imposing even more to his area because of the existence of a large car park on the north side that allows for spectacular views like the one shown here. Looking closely at the building one evening, I realized that playing mildly to its original form it could get a way to denote one of the most present aspects in the country of Israel. Is none other than its militarization. In all parts of the country you can see young soldiers, dressed in their characteristic green uniform. The country requires them to 3 years of military service, if you are male, and 2 if you are female. And the vast majority of young people run it in the years leading up to college, delaying the access to their studies. However, there are young people who choose to delay their military service after college but this option is not usually welcomed by the vast majority, who defines its passage by the army as the best years of their lifes. However, such militarization, tends to be a forgotten concept in the city of Tel Aviv, who apparently lives outside what’s happening a few miles away. It is known as the Tel Aviv bubble, where everything is wonderful and ideal. It is worth to remind people of this wonderful city, that the conflict is still alive and that it is exactly in Tel Aviv where some of the most controversial decisions are taken."
"This is the Shalom Tower, probably the most famous building in the city for many reasons. It was the first, and for many years, the tallest skyscraper in the whole country of Israel. The style used is essentially Tel Avivi by the appearance of prefabricated artificial stone panels that, from the distance, look like concrete. I love this buildings for several reasons. First because of his magnitude, with more than 35 floors, second, because of it’s shape, with a 5 floors socket on the bottom that functions as a bridge building letting pass the Hertzl st through it, and finished with a very simple prismatic tower. On the top of the tower, we find a very interesting finishing with a new combination of holes and solids that manifest as setbacks reducing in a progressive way the width of the building. In any case, this finishing was not original but added several years after the original project was built. On the sides we find a vertical strip of windows that honestly, for me, look like the zip that I always wanted to tear down in order to see what’s hidden inside."

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20.2.11


France Nostalgie
Houellebecq, Koolhaas, Varda & others



Un passage plutôt surprenant a retenu mon attention dans l’épilogue du dernier Houellebecq, comme si d’avoir lu la démocratie en Amérique reclu dans la maison de son enfance de la Creuse lui avait donné quelques idées sur un futur possible de notre société française, ou comme s’il s’était entretenu avec Koolhaas à propos de son intérêt naissant sur l’avenir de la campagne suisse (aveu qu’il nous a livré lors de sa dernière apparition parisienne au Centre Pompidou mais dont nous n’avons toujours malheureusement aucune nouvelle)



«Il ne se remémorait que vaguement Chatelus-le-Marcheix, c’était dans son souvenir un petit village décrépit, ordinaire de la France rurale, et rien de plus. Mais dès les premiers pas dans la bourgade, il fut envahi par la stupéfaction. D’abord le village avait beaucoup grandi, il y avait au moins deux fois, peut être trois fois plus de maisons. Et ces maisons étaient pimpantes, fleuries, bâties dans un respect maniaque de l’habitat traditionnel limousin. Partout dans la rue principale s’ouvraient les devantures de magasins de produits régionaux, d’artisanat, d’art, en cent mètres il compta trois cafés proposant des connexions internet à bas prix - il lira plus tard dans un dépliant publicitaire que le conseil général avait financé le lancement d’un satellite géostationnaire pour améliorer la rapidité des connexions Internet dans le département. Pendant les semaines qui suivirent, il explora doucement, par petites étapes, sans vraiment quitter le Limousin, ce pays - la France - qui était indiscutablement le sien. La France, de toute évidence, avait beaucoup changé. Il se connecta a internet de nombreuses fois, il eut quelques conversations avec des hôteliers, des restaurateurs, avec d’autres prestataires de services (un garagiste de Périgeux, une escort girl de Limoges) et tout le confirma dans la première impression, fulgurante, oui le pays avait changé, changé en profondeur. Les habitants traditionnels des zones rurales avaient presque entièrement disparu. De nouveaux arrivants, venus des zones urbaines, les avaient remplacés, animés d’un vif appétit d’entreprise et parfois de convictions écologiques modérées, commercialisables. Ils avaient entrepris de repeupler l’hinterland - et cette tentative, après bien d’autres essais infructueux, basée cette fois sur une connaissance précise des lois du marché, et sur leur acceptation lucide, avait pleinement réussi. de nouvelles professions avaient fait leur apparition - ou plutôt d’anciennes professions avaient été remis au gout du jour, telles que la ferronnerie d’art, la dinanderie : on avait vu apparaitre des hortillonnages. A Jabreilles-les-Bordes, un village distant de cinq kilomètres de celui de Jed, s’était réinstallé un maréchal ferrant. La Creuse, avec son réseau de sentiers bien entretenus, ses forets, ses clairières se prêtait admirablement aux promenades équestres. Plus généralement, la France, sur le plan économique se portait bien. Devenue un pays surtout agricole et touristique, elle avait montré une robustesse remarquable lors des différentes crises qui s’étaient succédées. N’ayant guère a vendre que des hôtels de charme, des parfums et des rillettes - ce qu’on appel un art de vivre - la France avait résisté sans difficulté aux aléas du marché. Car ce n’était pas la fatalité qui avait conduit a se lancer dans la vannerie artisanale, la rénovation d’un gite rurale, ou la fabrication de fromages, mais un projet d’entreprise, un choix économique pesé, rationnel. Instruits, tolérants, affables, ils cohabitaient sans difficulté particulière avec les étrangers présents dans leur région - ils y avaient intérêt puisque ceux ci constituaient l’essentiel de leur clientèle. Cette nouvelle génération se montrait davantage conservatrice, davantage respectueuse de l’argent et des hiérarchies sociales établies que toutes celles qui l’avaient précédée. De manière plus surprenante, le taux de natalité était cette fois effectivement remonté en France, même sans tenir compte de l’immigration, qui était de toute façon presque retombée a zéro depuis la disparition des derniers emplois industriels et la réduction drastique des mesures de protection sociale intervenue au début des années 2020»


Cette anticipation, un peu maladroite et conservatrice, semble basé sur le fait que nous opérions de plus en plus un retour vers le monde rural, les valeurs campagnardes, avec tous les bons sentiments écologiques et bien pensants que cela véhicule, et les mythes liés à la campagne, la vie de quartier,etc etc bref un retour à l’authenticité en un mot. Mais comme il est justement remarqué ici, ceux qui la vivaient simplement il y a quelques générations sont désormais en train de disparaitre. Je voulais à ce propos, et sans nostalgie déplacée, citer deux documentaires témoin, de ce monde qui s’éteint avec les dernières générations de l’avant-guerre.


Le premier reportage est parisien, Daguerréotypes, c’est celui d’Agnès Varda sur la rue Daguerre dans le 14e. Une rue qu’elle a habité, une vie de quartier qu’elle a vécu et qu’elle fait partager avec son regard, certes parfois trop attendris, sur les commerçants de sa rue (dans un rayon de 50 mètres) et sur la vie de quartier encore présente lors de la réalisation en 1975. Elle nous fait partager le temps des petits commerces, de l’intérieur avec les artisans les vendeurs, la lenteur et la patience de leur travail dans les moments d’attentes, dans les temps morts, les temps vides, les regards croisées : « chaque matin le rideau se lève au théâtre du quotidien, sont répertoire nous est archi-connu, les vedettes sont le pain, le lait, la quincaille ,la viande, et le linge blanc mais aussi l’heure juste et le cheveu court»
Le second, La vie moderne de Raymond Depardon, revient sur les terres d'origine du photographe qu'il a quitté à 16 ans. Après avoir ramené des films d'un asile italien, d'un hôpital ou tribunal français, il pénètre de nouveau dans un monde difficilement accessible et silencieux, celui des paysans de l'Ariège, la Lozère, la Haute-Loire et la Haute-Saône

Alors à l’heure où vivre à la campagne signifie de plus en plus vivre à la périphérie de la ville, où la vie rurale se raréfie jusqu’à l’épuisement, mais où paradoxalement des valeurs de vie simple, plus proche de la nature exaltent; il n’est pas idiot de penser à un réinvestissement de la campagne - non plus comme lieu simple de résidence, de villégiature ou de production agraire, au service exclusif des villes - mais comme un corps réellement capable de produire une économie propre et forte. Dans le seul pays que je connaisse qui à une radio qui s’appelle Nostalgie, investir à fond dans ce système sentimentaliste est peut-être une des clés de son avenir.

18.2.11

OP

(Obsolescence Programmée)
Même si le ton du documentaire "Prêt à jeter" peut agacer au premier abord par son coté solennel et dramatisant, il est bon de s'y laisser doucement glisser pour comprendre un des mécanismes principale de la société de croissance dans laquelle nous évoluons, celui de l'obsolescence programmée des produits. Promenant la caméra à travers l'histoire du XXe siècle et les quatre coins du monde, il nous propose une vision large et pédagogique de cette notion sur laquelle nous nous sommes tous au moins un jour malheureusement confronté face à la piètre qualité d'un produit récemment acheté et qui nous reste entre les mains, avec comme seule solution le jet et le rachat. Voici le pitch:

"Dans les pays occidentaux, on peste contre des produits bas de gamme qu'il faut remplacer sans arrêt. Tandis qu'au Ghana, on s'exaspère de ces déchets informatiques qui arrivent par conteneurs. Ce modèle de croissance aberrant qui pousse à produire et à jeter toujours plus ne date pas d'hier. Dès les années 1920, un concept redoutable a été mis au point : l'obsolescence programmée. "Un produit qui ne s'use pas est une tragédie pour les affaires", lisait-on en 1928 dans une revue spécialisée. Peu à peu, on contraint les ingénieurs à créer des produits qui s'usent plus vite pour accroître la demande des consommateurs. "À l'époque, le développement durable n'était pas au centre des préoccupations", rappelle Warner Philips, arrière-petit-fils des fondateurs de la marque du même nom. Mais alors que les ressources de la planète s'épuisent, rien n'a changé. "La logique est croître pour croître", note Serge Latouche, professeur émérite d'économie à l'université de Paris 11. Tournée en France, en Allemagne, en Espagne, au Ghana et aux États-Unis, nourrie de nombreuses archives et interviews, avec, pour fil conducteur, le test d'une imprimante récalcitrante, cette démonstration minutieuse débusque les avatars de l'obsolescence programmée et leurs répercussions. Elle esquisse aussi d'autres modèles économiques : de la décroissance, prônée par Serge Latouche, à une industrie qui produirait et recyclerait à l'infini, à l'image de la nature. Une investigation passionnante, qui, l'exaspération une fois passée, amorce la réflexion."

Le documentaire est à regarder ici
Et si les thèmes des déchets, de la récupération, du recyclage vous intéresse je vous conseil aussi d'aller faire un tour vers ces articles par ici et .
Pour les photos, c'est Pieter Hugo.
Merci à Gaetan